Stratégies multiscalaires
Le nom TSPOON évoque une petite taille, mais elles voient grand. Nina Artioli, Alessandra Glorialanza et Eliana Saracino sont les fondatrices de ce studio d’architecture et d’aménagement urbain jeune et très actif, basé à Rome, qui opère par des projets, des processus, des installations, des recherches, des initiatives éditoriales et des aménagements. Elles ont récemment conçu l’exposition Gae Aulenti. Uno sguardo sul Giappone e sul Mondo à l’Institut culturel italien de Tokyo, l’année du dixième anniversaire de la mort de la grand-mère de Nina, qui dirige aujourd’hui ses archives à Milan.
Pourquoi avez-vous choisi le nom TSPOON ?
Nina : Teaspoon est le dernier mot de l’introduction du célèbre livre S, M, L, XL de Rem Koohlaas. Pendant notre formation, le studio OMA a joué un rôle fondamental du point de vue de la vision, de la manière d’opérer et de la conception. L’idée de nous appeler TSPOON est née de notre intention de travailler avec un outil très petit par rapport à ce qui est censé être traité comme des questions urbaines. Il s’agit donc d’une grande ambition à poursuivre avec un tout petit outil. TSPOON est un petit outil qui produit des processus. Quelle que soit l’échelle d’intervention, l’objectif de l’expérimentation TSPOON est de créer des écosystèmes découlant de l’interaction entre des stratégies générales et le caractère infime et multiple de la vie quotidienne. Le projet est une grille ouverte de possibilités capable d’absorber et de catalyser des mutations, des transformations et des réappropriations dans un processus dialectique continu entre l’espace et les habitants.
Un XS qui transmet l’idée de la petite cuiller à la ville…
Nina : Il est certain que l’objectif est précisément d’aborder toutes les échelles du projet.
Comment vous êtes-vous rencontrées ?
Nina : Nous étions toutes à la faculté d’architecture Roma Tre, nous étions un groupe de 10 à 12 étudiants et nous collaborions pour les examens. Ces dernières années, nous avons expérimenté de nombreux ateliers. Ensemble, nous avons créé l’annuaire officieux de la faculté d’architecture, un petit livre rose qui rassemblait les meilleurs projets des différents cours de design, intitulé avec ironie Carne Fresca (chair fraîche), puisque l’endroit se trouvait dans un ancien abattoir. Le groupe est né ainsi, puis nous avons commencé à participer à de nombreux concours, jusqu’à ce que chacun suive son chemin et que nous fondions toutes les trois le studio. C’était en 2012. Cela fait déjà dix ans.
Quelle est votre approche de la conception ?
Alessandra : Souhaitant aborder la question urbaine et faire des recherches ciblées, nous participons, en tant que TSPOON, à de nombreux concours pour la régénération urbaine et le réaménagement de zones ou de quartiers urbains, de préférence sur des espaces déjà urbanisés, en essayant de travailler sur l’existant : c’est le principal canal qui nous permet de faire de l’expérimentation. En étudiant des solutions conceptuelles pour des cas spécifiques compliqués, nous avons peu à peu acquis notre propre méthode d’approche avec laquelle nous travaillons toujours pour essayer de donner des structures à ces espaces, de restituer à travers le projet une compréhension de règles générales, dans lesquelles pouvoir trouver la bonne échelle et les nuances des détails liés au quotidien et au temps. Ce sont des questions difficilement pondérables dans un contexte de conception mais qui, à notre avis, doivent être intégrées dans la conception à toutes les échelles, de la plus grande à la plus petite. Ces questions, qui font partie de notre méthode d’approche, sont ensuite adaptées aux différents projets que nous abordons, même s’il ne s’agit que d’une installation.
Comment fonctionne votre méthode multiscalaire ?
Eliana : le fait de donner une échelle à chaque projet permet de le lire. Il faut établir des points fixes qui permettent à chacun de lui donner une dimension, une reconnaissabilité et qui permettent au projet d’évoluer dans le temps sans perdre de son efficacité. Nous faisons souvent référence au jeu : les règles étant établies, on peut avoir des résultats différents à chaque fois, selon la situation.
Le paysage et la verdure jouent-ils un rôle essentiel dans vos projets ?
Nina : la nature étant un élément de conception, nous intervenons dans le paysage en le considérant comme une architecture, au même titre que les éléments bâtis. Dans nos projets, le système environnemental devient un système infrastructurel. Nous devons dépasser l’idée que le vert est un arrière-plan qui va bien avec tout, car à notre avis la nature fait partie structurelle du projet. Nous avons récemment terminé le projet Freespace pour le Corso della Libertà à Merano. Dans l’avis de concours, la conception concernait le mobilier urbain et le pavage dans un quartier bien établi, défini et central de la ville. Pour définir le caractère du Corso, nous avons choisi de nous référer à l’imaginaire fin de siècle, qui a profondément influencé l’identité urbaine et défini ses traits saillants : l’or et le cobalt comme couleurs et matériaux dominants. Le système végétal, dans ce cas, s’intègre dans le tissu urbain en tant qu’élément caractéristique du paysage agricole et productif de Merano. Par exemple, avec sa saisonnalité et son parfum, le pommier ramène dans la ville, sous une forme urbaine, la couleur, l’uniformité et l’ordre.
Alessandra : Le Corso della Libertà est aujourd’hui dans un état de désordre formel et visuel, dominé par la présence de voitures et les différentes tentatives de séparation des parties, un état dans lequel la clarté et l’unitarité symbolique du système ont été perdues. L’objectif principal de notre intervention était d’offrir une meilleure qualité de vie aux résidents, aux visiteurs et aux entreprises locales en redéfinissant les méthodes d’utilisation d’un espace réellement partagé. En se réappropriant les traces et la mémoire des lieux, et en les réinterprétant dans un langage contemporain, le projet pour le Corso della Libertà définit une structure robuste et à la fois subtile et élégante, dans laquelle tracer une ligne solide de continuité dans la mémoire territoriale entre le passé, le présent et le futur. Notre projet pour le Corso della Libertà a reçu une mention honorable.
Eliana : Le vert est une partie de l’architecture qui évolue, notre idée est de créer des projets qui tiennent compte de cette condition. Il est important, dès le concept, d’imaginer une évolution, à la fois dans le laps de temps très court qu’est la saison – la couleur et l’impact du feuillage à court terme – mais également dans la longue période de plantation, jusqu’à ce que la végétation pousse et atteigne sa pleine maturité. Il faut imaginer l’évolution du projet également par rapport au système environnemental.
Pour vous, la question du temps dans le projet est donc fondamentale…
Alessandra : Bien sûr, surtout si l’on considère le développement du projet dans les délais impartis par la ville, il est fondamental d’essayer d’identifier, dès les premiers signes du projet, si c’est la bonne manière de le modifier au fil du temps.
Malheureusement, en Italie, les délais de concrétisation des projets urbains sont très longs. Où en est votre projet GUARDA-MI de réaménagement de l’autopont Bussa (projet lauréat du concours à Milan en 2014) et de ses connexions avec la ville, dans un système continu d’espaces publics ?
Nina : Ce projet est toujours en cours. GUARDA-MI consiste en une stratégie opérationnelle capable de transformer un espace qui a perdu sa fonction urbaine en un extra-espace, un espace vivant et vécu, rendu à la ville. Le projet de transformation s’inscrira progressivement dans l’imaginaire collectif du paysage urbain comme un lieu où il sera possible, en assumant une certaine responsabilité, de jeter les bases de modèles alternatifs de développement, basés sur la temporalité des usages et l’adaptabilité, sur l’interaction entre les acteurs urbains qui sont engagés à différentes échelles dans les processus de transformation, et sur l’implication directe des usagers. Le projet a réussi, au fil du temps, à absorber de nombreux changements, y compris politiques, avec pas moins de trois juntes. Si l’on regarde les images les plus récentes et les premières, le projet n’a pas changé. D’un côté, nous sommes encouragés par le fait que le projet n’a pas pris une ride !
Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez à petite échelle ?
Alessandra : au-delà de l’échelle urbaine, nous expérimentons nos idées également à des échelles plus petites : les installations. La Pentana est un projet qui a remporté l’an passé un concours organisé par le ministère de la Culture visant à construire des espaces de proximité pour des projets de régénération urbaine. Nous avons collaboré avec une association de jeunes qui a pris le contrôle de la Rocca Janula à Cassino. Nous avons conçu un pentagone, une plateforme-scène fonctionnelle pour événements divers, concerts, réunions, représentations historiques. Nous avons travaillé avec une structure rigide et des éléments mobiles laissant une grande liberté d’utilisation.
La Pentana. Aménagement des espaces extérieurs de Rocca Janula, Cassino, Frosinone, Italie 2022 (photo : Flavia Rossi)
Eliana : Il s’agit d’un dispositif éphémère pour encourager l’usage des espaces de la Rocca, présentée comme une scène urbaine : un lieu pour, d’une part, représenter la vie quotidienne, faite de rencontres, d’échanges et de partage pour construire une communauté et, de l’autre, pour accueillir, comme une scène, l’événement, le rituel collectif, l’exceptionnel et l’inattendu. Il s’agit d’un projet reconfigurable dont les bords et l’intérieur sont des éléments mobiles en polystyrène, réadaptables si nécessaire.
Quels sont vos matériaux préférés et la céramique en fait-elle partie ?
Nina : Nos choix de matériaux sont toujours dictés par le contexte. Nous choisissons du mobilier urbain adapté aux contextes contemporains et historiques, en travaillant par analogie ou par contraste, comme le polystyrène pour travailler sur la légèreté mais à faible coût. Mais également le bois. Nous essayons toujours d’utiliser des matériaux écocompatibles, notamment pour les sols extérieurs. Les matériaux céramiques offrent de nombreuses possibilités pour l’intérieur en raison de la variété de formats, de formes, de couleurs et de géométries qui permettent une infinité de compositions. Pour l’extérieur, l’offre de matériaux pour les grandes surfaces à faible coût n’est pas aussi vaste. Le secteur de la céramique étant très dynamique, nous aimerions qu’il y ait plus d’expérimentations sur l’extérieur, avec une plus grande variété de couleurs, de formats et de technologies capables de filtrer l’eau.
Juin 2023