Exposition sur la naissance des carreaux industriels

Inaugurée le 20 avril dernier au château de Spezzano, l'exposition Le piastrelle da picccole. 1889-1939 : i primi cinquant’anni del Distretto est une collection de pièces rares, d’un intérêt esthétique et artistique inattendu
De Francesco Genitoni

(Mai 2024) | « Quelle est la date de naissance des carreaux céramiques ? ». « Et qu’ont-ils fait pendant leurs premières décennies d’existence ? ».
L’exposition « Le piastrelle da piccole. 1889-1939 : i primi cinquant’anni del Distretto », (Le premier âge des carreaux céramiques. 1889-1939 : les cinquante premières années du District) ouverte depuis le 20 avril au Musée de la céramique du château de Spezzano (Fiorano Modenese) a essayé de fournir des réponses documentées à ces questions.

Deplian mostra Le piastrelle da piccole

Jusqu’à présent, cette période (les premiers temps des carreaux céramiques) n’a jamais été examinée de près, pour ne pas dire ignorée, ce qui a alimenté une croyance erronée, à savoir qu’ils étaient de facto nés après la Seconde Guerre mondiale et qu’ils étaient devenus le leader mondial du secteur dans les dernières décennies du vingtième siècle du jour au lendemain, comme par miracle.

D’abord, pourquoi a-t-on fixé 1889 comme année de naissance officielle ? Parce que cette année-là, à l’exposition du Museo Artistico Industriale de Rome, les échantillons de céramiques ornementales traditionnelles ont été remplacés par un échantillon de carreaux de faïence pressés à sec, émaillés et décorés. Il s’agissait des pianelle (ancien nom des carreaux) fabriquées par la société Carlo Rubbiani, grâce à l’introduction innovante de presses importées d’Angleterre. Des découvertes récentes, à étudier à fond, pourraient avancer cette date de quelques années.

L’entreprise de Carlo Rubbiani (descendant d’une famille historique d’entrepreneurs chevronnés) est devenue, après des changements de propriétaire et de direction, la Società Ceramica di Sassuolo et, enfin, Ceramiche Marca Corona.

Les autres entreprises en activité au début du vingtième siècle étaient Ceramica Veggia, Stabilimento Guido Siliprandi, Ceramica Saime, Saces et Marazzi. Les usines céramiques Ing. Rizzi & Figli et Ninzoli Marconi Lusenti étaient plus petites et n’ont marché que pendant les premières décennies du vingtième siècle, mais elles étaient capables de réaliser des produits esthétiquement très intéressants et peu vus jusqu’à présent.

Parmi les principales industries, l’une des plus intéressantes est incontestablement Ceramica Veggia, créée en 1924, sur la rive du fleuve Secchia côté Reggio, par Eugenio Carani et Guido Giglioli sous le nom de Carani & Giglioli. L’ingénieur Antonino dal Borgo inventera d’ailleurs, entre autres innovations, le Kervit : un carreau révolutionnaire de 3 mm d’épaisseur, précurseur dès le début des années 1930 des dalles minces d’aujourd’hui.

En 1926, l’ingénieur Guido Siliprandi reprend l’ancienne Fabbrica della Terra Rossa de Via Lea, au centre de Sassuolo, et la transfère en 1934 dans un établissement moderne sur la route de Modène, près de la voie ferrée, sous le nom de SAIME – Società Anonima Industria Materiali Edili (Société Anonyme Industrie Matériaux de Construction).

En 1935, Eugenio Carani, issu lui aussi d’une famille d’entrepreneurs émérites, construit la SACES (Società Anonima Carani Eugenio Sassuolo) à la place d’une industrie du bois.

Enfin, en 1934, Filippo Marazzi entre en scène. Il a cessé de travailler comme épicier, il a 60 ans et il décide de créer, dans la banlieue nord de Sassuolo, un four qui commencera à produire des carreaux après un an environ.

 

 

On peut supposer que Marazzi s’est lancé dans le monde de la céramique parce que, depuis la fin de la Première Guerre mondiale, ce secteur avait entamé une parabole ascendante qui ne serait interrompue qu’au début de la Seconde. Après 1920, les réglementations en matière de construction et d’hygiène publique donnent une nouvelle impulsion : elles exigent que les abattoirs publics, les laiteries, les fromageries, les charcuteries et les boucheries soient revêtus de matériaux lisses et faciles à laver, tels que les carrelages. De plus, les nouveaux modes de vie commencent à s’établir solidement dans les maisons et le carrelage constitue le revêtement le plus approprié et le plus économique pour les cuisines, les salles de bains et les couloirs. L’introduction de l’exonération de 25 ans de l’impôt sur les bâtiments a également incité à la construction et à la consommation de carreaux, à tel point que la Chambre de commerce de Modène, dans son rapport de 1933 sur les progrès de l’économie provinciale, écrira que « les usines de carreaux muraux émaillés occupent une place de choix. Le centre de cette industrie est Sassuolo, où les matières premières abondent et où l’on trouve une main-d’œuvre compétente formée par un apprentissage minutieux. C’est l’une des rares industries qui, on peut le dire, n’a jamais ralenti son activité ».

Et elle ne ralentira pas au cours des années 1930, tant sur le plan économique et financier que sur celui des installations et de la production. Le nombre d’employés, en effet, ne cesse d’augmenter et avoisine le millier, de sorte qu’en 1940, le Podestat, en raison de l’afflux excessif de personnes des communes voisines arrivant à Sassuolo à la recherche d’un emploi dans la céramique, demande le droit d’appliquer la loi contre l’urbanisme, même si Sassuolo n’atteint pas les 25 000 habitants requis.

On peut donc parler d’un premier boom, qui explique la manière dont le second (plus important et plus répandu) a pu se produire rapidement après la Seconde Guerre mondiale et amener le district de Modène-Reggio à devenir la capitale mondiale de la céramique.

 

 

L’exposition Le piastrelle da piccole. 1889-1939 : i primi cinquant’anni del Distretto retrace toute cette période, avec des études approfondies sur l’histoire des entreprises, sur les entrepreneurs et les techniciens et sur l’évolution des processus de fabrication et des produits.

Parmi les céramiques exposées, certaines pièces rares, à structure géométrique ou figurative, présentent un intérêt esthétique et artistique inattendu et soulignent les hauts niveaux du graphisme du début du vingtième siècle et de l’Art Déco, annonçant l’évolution du goût et du design jusqu’à devenir des objets d’art et de musée. L’exposition montre également des images d’une campagne photographique sur les carrelages de ces années-là, qui sont encore conservés dans les bâtiments historiques de la région.

La plupart des matériaux exposés viennent de la collection (plus de 7000 pièces) réalisée par Antonio Medici de son vivant et que sa famille a donnée à la commune de Fiorano Modenese.

L’exposition a été organisée par Stefania Spaggiari, directrice du musée de la céramique, et par un comité scientifique composé de Francesco Genitoni, Rolando Giovannini, Matteo Ruini et Vincenzo Vandelli.

Elle a été réalisée par la municipalité de Fiorano Modenese en collaboration avec Confindustria Ceramica, Acimac, Società Ceramica Italiana, et avec la contribution de Marca Corona pour le catalogue et de Marazzi Group pour la recherche scientifique.

Elle se poursuivra jusqu’au 25 mai 2025 et pourra être visitée le samedi et le dimanche de 15 à 19 h.
Entrée libre et gratuite. Visites guidées sur réservation, tous les jours.

Info : [email protected] – tél +39 335 440372.
Lien : Mostre al Museo

 


BIOGRAPHIES DES COMMISSAIRES

Francesco Genitoni a publié un essai historique, des nouvelles, des romans, des poèmes et des biographies. Il a édité plusieurs publications sur des sujets historiques et littéraires locaux. Il a été commissaire, avec Stefania Spaggiari, Paola Gemelli et Guglielmo Leoni, de Manodopera, la section multimédia du musée de la céramique de Fiorano Modenese, au château de Spezzano, inaugurée en 2014.

Rolando Giovannini, quatrième directeur de Ballardini à Faenza, ancien professeur à l’ABA de Brera et à la SSBAP Polytechnique de Milan, est géologue et diplômé en décoration à l’Académie des beaux-arts de Bologne. Il a créé au MIC de Faenza, avec Giuseppe Liverani et Gian Carlo Bojani, la collection de carreaux récents. Auteur du projet scientifique au Musée de Confindustria Ceramica, conservateur de la collection contemporaine au Musée de la céramique de Fiorano, il collabore au Musée du design italien de la Triennale de Milan (2023-2025).

Matteo Ruini, archiviste et historien, a collaboré avec le Musée International de la Céramique de Faenza avant d’être consultant auprès du Centre de documentation de l’industrie italienne des carreaux céramiques de Confindustria Ceramica, de la Galerie historique de Ceramiche Marca Corona s.p.a et du Musée de la céramique de Fiorano (dans le château de Spezzano) pour lequel il suit actuellement le catalogage de la collection Medici. Il termine également la réorganisation et l’inventaire des archives du théâtre Carani et de la collection Roberto Costi.

Stefania Spaggiari, archéologue pré-protohistorienne de formation mais intéressée par l’archéologie industrielle, est passionnée par l’enseignement de l’histoire. Elle a participé à des campagnes de fouilles et publié des contributions sur l’archéologie et l’histoire du territoire. Employée par le service Culture et Tourisme de la commune de Fiorano Modenese, elle est directrice du musée de la céramique de Fiorano au château de Spezzano.

Vincenzo Vandelli est architecte et membre du Studio Progettisti Associati à Sassuolo. Il a commencé à travailler sur la céramique de Sassuolo avec Francesco Liverani, avec qui il a publié plusieurs essais. Il a collaboré à la monographie sur 250 ans de céramique à Sassuolo par Marca Corona et supervisé la conception de la Galerie Marca Corona. Il a également étudié les activités de Carlo Casaltoli et de Terenzio Rizzoli dans des revues telles que CER et Taccuini d’Arte.

Cer Magazine International 70 | 05.2024