(Mars 2025) | Les « premières phases » qui poussent un architecte à privilégier un sujet sont nombreuses : une « première phase » historique, de savoir-faire, de culture populaire, d’imagerie et d’images, d’expérimentation, de technologie. Le présent se nourrit des potentialités et des innovations contemporaines, des perspectives ouvertes sur l’avenir, de la sensibilité personnelle et du tempérament artistique, de l’économie, de la créativité industrielle et du système réglementaire qui autorise, contraint, limite et régule l’utilisation personnalisée des matériaux.
La matière indique l’artisanat, l’artisanat représente le territoire, l’histoire, donc l’appartenance…
Sans la recherche sur la matière et sa participation à la construction de la ville et de l’architecture, nous perdons nos métiers, nous perdons notre relation au territoire, aux artisans, à notre histoire, à notre appartenance aux lieux et au temps… nous nous perdons nous-mêmes.
Notre recherche sur la céramique associe l’étude de la matière, les aspects techniques et économiques, et les systèmes de pose pour rapprocher l’échelle artisanale de l’échelle industrielle. Pour ce mode opératoire qui est, à toutes fins utiles, une médiation créative, le(s) Atelier(s) se voit(ent) attribuer une compétence identitaire.
Notre recherche ne poursuit pas l’objectif de l’exception, la personnalisation unique jetable, mais celui du dialogue avec les entreprises, pour innover et évoluer, en modifiant l’approche de produit catalogue, en construisant des gestes de conception artistique et industrielle.

 

Dallara Academy, Varano de’ Melegari, Parma, 2018 (photo ©Stefano Anzini).

 

La compétence sociale de la céramique
Il y a une autre signification, moins architecturale et plus liée au design, qui m’a poussé à choisir la céramique et à en faire le matériau d’identification de mon travail.
C’est un matériau qui synthétise le courtois et le populaire, l’art et l’artisanat, le beau et le laid (rappelons le revêtement Klinker qui a caractérisé de nombreux bâtiments des années 1970 en Italie et qui est aujourd’hui une scénographie urbaine dystonique).
Il existe de nombreux matériaux pour restaurer des canons esthétiques différents, c’est-à-dire contradictoires, mais la céramique a une capacité expressive qui les exaspère.
On pourrait dire qu’il s’agit d’un matériau dangereux, surchargé de citations des grands noms du passé, mais aussi d’un usage bâclé dont il reste des traces évidentes dans les villes.
En ce sens, la céramique est un matériau adrénaline, elle stimule l’engagement pour la valeur publique de chaque intervention, indépendamment du client et de l’utilisation prévue, c’est un matériau destiné à composer des bâtiments qui sont à la fois des architectures et actions de transformation urbaine.
La céramique se décline de manière cohérente aux exigences de la conception contemporaine : c’est le moment où il est nécessaire de remplacer le « changement de paradigme » espéré par un modèle différent d’infrastructure culturelle qui s’exprime dans des choix orientés vers le bien-être de la communauté dans son ensemble et des individus qui la composent.
Ce changement ne va pas de soi car il réattribue à l’architecture une compétence sociale et politique qui s’est progressivement perdue au cours des dernières années.

 

Eco Quartier La Vallée, Chatenay-Malabry, France, 2022 (photo ©Luc-Boegly).

 

Matière parlante
Le sens social et urbain de l’utilisation de la céramique s’exprime à travers la lumière et l’espace.
Les enchaînements de séquences horizontales et verticales, de compressions et de dilatations influencent la perception du bâtiment. L’équilibre et la gestion de l’enveloppe du bâtiment par l’espace et la lumière créent une relation avec le lieu et les personnes, pour la petite communauté qui y vit et la grande communauté de citoyens qui l’intercepte.
La dimension architecturale du bâtiment se greffe sur la dimension naturelle, les couleurs du ciel et du bâtiment se mêlent et s’influencent, créant des palettes de couleurs originales qui dessinent des traces urbaines rassurantes et accueillantes loin des hyperboles de la forme et de la matière.
A travers la céramique, nous constatons la réaffirmation de la matière et l’architecture.

 

Milano Sangiovanni Housing, 2022 (photo ©Stefano Anzini).

 

Les intelligences de la céramique

J’ai identifié cinq « intelligences » dans la céramique qui s’expriment dans mes architectures, souvent ensemble, parfois individuellement. Je pense qu’il y en a beaucoup plus, un millier de nuances et de sensibilités : la céramique exprime la capacité de parler et de raconter l’histoire du bâtiment, elle se réapproprie de sa valeur en tant que matériau et la capacité poétique et narrative de « penser par le matériau ».
Dans la céramique, la relation n’est jamais seulement entre le matériau et l’architecture, l’échelle urbaine est la première référence. Entre le pensable et le possible se trouve la dimension émotionnelle de la céramique, dans sa capacité particulière à recevoir et à repousser la lumière ; elle est une composante descriptive et devient, selon le moment, un contrepoint ou un accent à l’ensemble du corps architectural. La transformation de la bidimensionnalité en tridimensionnalité renforce sa plasticité dans un exercice de réconciliation des contraires, selon les points d’observation : compacte et fragmentée, brillante et opaque, pleine et vide ; elle représente une présence précieuse et lumineuse qui s’harmonise avec le bois, les surfaces enduites, et transforme le bâtiment en un conte équilibré de matériaux et de couleurs, en contrepoint de sa dimension et de sa géométrie ; elle a la capacité de maintenir un état d’équilibre thermique sans se nourrir d’artifices et d’actions technologiques. Elle ne se déforme pas, résiste aux températures et aux polluants chimiques. Elle se trouve sur un point d’équilibre naturel dans sa relation avec l’environnement et l’énergie.
Enfin, la céramique donne assurément de la qualité à la surface, elle devient une peau sensible et communicative. Dans le processus de conception, dans la correspondance d’intention parmi les artisans, les architectes et les ingénieurs, il y a un espace pour un nouveau savoir et pour une nouvelle multiplication des compétences qui augmentent à la fois la performance, la géométrie, la polyvalence et le langage.

 

Résidences et logements pour les étudiants, Asnières-sur-Seine, France, 2019-2023 (photo ©Mario Ferrara).


Intelligenza della Ceramica Alfonso Femia ArchitecturesAlfonso Femia Architectures a approfondi les sujets susmentionnés dans un livre avec le titre L’intelligenza della ceramica, édité par Marsilio Editore, 2024.
La présentation du volume aura lieu mercredi 9 avril à partir de 18h00 auprès du Creative Centre Casalgrande Padana, Piazza San Marco, 1 à Milan.