Histoire et Valeurs
Cent ans d’histoire. La céramique vue depuis Montelupo Fiorentino | de Elena Pasoli
Cent ans d’art et de design, un siècle d’intelligence entrepreneuriale et de dialogue entre tradition et innovation sont désormais au cœur d’un nouveau musée d’entreprise. Inauguré au début du mois de septembre dernier, l’Archivio Museo Bitossi est le fruit de la muséalisation des archives industrielles Bitossi. Cette collection de plus de sept mille pièces a vu le jour grâce à la détermination de Ginevra Bocini, quatrième génération Bitossi, et à l’expertise des différents professionnels qui ont collaboré à sa création. Ce précieux témoignage d’une histoire de recherche artisanale, d’innovation et de collaboration avec les grands maîtres du design est un don fait à la communauté.
C’est ainsi que le Gruppo Colorobbia a décidé de célébrer ses cent ans. Véritable excellence du made in Italy, il est né et s’est développé au cœur de la Toscane, à Montelupo Fiorentino, l’une des plus anciennes capitales italiennes de la céramique. Ginevra Bocini explique : « L’Archivio Museo Bitossi représente l’identité de l’entreprise, c’est le gardien et le diffuseur de la mémoire, le dépositaire de la culture industrielle. Sa mission est de raconter l’histoire et la transformation du passé au présent, en étant toujours tourné vers l’avenir. C’est bien que cette histoire se déroule dans les locaux fascinants de l’ancienne usine de céramique Bitossi : conçu par l’architecte Luca Cipelletti, fondateur de AR.CH.IT, le musée s’étend sur une surface de plus de 1500 mètres carrés dans la zone de production et conserve les locaux dans leur structure d’origine, laissant en évidence la mémoire architecturale industrielle. Cipelletti précise : « Nous avons adopté une méthode de conception qui ne veut pas raconter une histoire en l’isolant dans des endroits sans identité, mais qui tend plutôt à la contextualiser dans des espaces capables de générer plusieurs niveaux de lecture et d’augmenter la curiosité et les stimulations du visiteur ».
L’Archivio Museo présente donc une collection de céramiques d’environ sept mille pièces, et, assurément, le visiteur ne cessera jamais de découvrir des merveilles ! En effet, il y a eu d’innombrables collaborations avec des artistes et des designers extraordinaires et elles ont laissé leur empreinte sur la texture et le caractère de l’entreprise, la transformant en un unicum absolu : de personnages de l’envergure d’Ettore Sottsass, Nathalie Du Pasquier, George J. Sowden, Marco Zanini, Christoph Radl, Michele De Lucchi, Karim Rashid, Arik Levy, Fabio Novembre, jusqu’aux dernières générations telles que Max Lamb, Formafantasma, Dimorestudio, Benjamin Hubert, Quincoces-Dragò, Bethan Laura Wood et Pierre Marie. Viennent s’ajouter les œuvres d’Aldo Londi, mémorable directeur de la création, qui a guidé la recherche et les expériences de Bitossi pendant des décennies, signant lui-même de magnifiques collections, comme celle des animaux ou la collection Rimini. Sans oublier naturellement le ‘Dormeur et crocodile’ de Mimmo Paladino, l’une des installations artistiques les plus célèbres et les plus fascinantes du maître de la Trans-avant-garde. Elle fait partie d’une série créée pour une grande exposition à Londres en 1999, où elle a été placée en dialogue avec un système sonore spécialement conçu par le musicien britannique Brian Eno.
En plus de la beauté et de la valeur des œuvres de la collection, la manière dont elles sont exposées (résultat d’une direction muséographique et curatoriale spécifique) mérite une appréciation particulière. Les céramiques sont placées sur des étagères en sapin, classées par chronologie et par type. Elles forment l’arrière-plan des îlots centraux dédiés à des œuvres dont le caractère unique ou la taille les rendent particulièrement importantes. La collection est accompagnée de très riches archives sur papier (dessins, cahiers d’exercices et autres documents concernant la conception et la commercialisation) qui forment une galerie d’images, dans un jeu harmonieux de références entre matériaux et informations. La dernière étagère reste vide : une place à remplir avec les résultats de nouvelles collaborations, dont des tests techniques et des prototypes.
La dernière collection Bitossi occupe une salle de projet dédiée, qui accueille actuellement la série de céramiques signées par l’artiste français Pierre Marie, une rencontre entre les mondes imaginatifs de l’artiste et la longue tradition céramique.
Naturellement, des archives historiques de cette ampleur ne viennent pas de nulle part. En 2008, la Fondation Vittoriano Bitossi a été créée à cette fin, du nom de l’homme qui a récupéré son héritage paternel en 1942 alors qu’il n’avait que 17 ans et qui a guidé l’expansion internationale de l’entreprise pendant plusieurs décennies, jusqu’à sa mort en 2018. C’est à lui que l’on doit les premiers exemples, pendant le boom de l’après-guerre, de l’interaction moderne entre la céramique et les principaux designers du secteur, dont le grand Ettore Sottsass. Marina Vignozzi Paszkowski, conservatrice des archives industrielles, déclare : « Le travail de plusieurs années a trouvé sa place et sa préservation. C’est une histoire capable de se renouveler et de valoriser la culture d’entreprise, c’est l’histoire d’une usine, d’une famille, une histoire d’artisans et d’artistes, une histoire italienne ».
Elle est relayée par Porzia Bergamasco qui, en tant que commissaire de l’exposition, a dû donner une structure adéquate à cette collection d’une rare immensité : « Le public vivra une expérience immersive, totalement physique et perceptive, autoréalisatrice dans un espace rigide mais perméable, où tout semble animé et flottant. Elle change en fonction du point d’observation, de l’évocation d’une forme, de la vibration d’une couleur… ».
L’inauguration de l’Archivio Museo est accompagnée du livre-catalogue Handmade by Bitossi – 100 Years of Tradition, né de la collaboration avec Christoph Radl, disciple d’Ettore Sottsass. Ce livre rassemble de nombreuses voix du design, de l’art et de la mode, avec des anecdotes inattendues, des réflexions et des souvenirs lointains. Il contient également les photographies de Delfino Sisto Legnani, qui a mis en scène les céramiques Bitossi à l’intérieur de remarquables entrées milanaises, et celles de Piotr Niepsuj, délicieusement intimes et romantiques.
Mars 2022